Les
travailleurs détachés ne sont pas l'apanage des abattoirs allemands ! La
France en emploie 300 000 par an. Et le Finistère a même été le
département qui en embauchait le plus !
Au début de la crise, en 2008, on a souvent entendu parler du plombier
polonais. Puis ce fut au tour des travailleurs roumains et bulgares,
employés à tour de bras par les abattoirs allemands à des tarifs défiant
toute concurrence. "Une réalité, assure Jean-Bernard Solliec. Le
détachement et l'absence de Smic induisent des écarts de compétitivité
énormes ! Pour un abattoir moyen, 30 000 porcs/semaine, ça représente
6 à 8 millions d'euros/an". Et le vice-président de l'ABEA de citer
Vion, l'abattoir hollandais qui a perdu 800 millions d'euros en 2012,
ou Danish Crown, au Danemark qui, en quelques années, a perdu 30% de
ses cochons et de ses clients au profit des Allemands. "C'est un
cancer qui ronge tous les abattoirs européens".
Agriculture et agroalimentaire
Mais la CFDT a voulu aller plus loin que
ce simple constat et a organisé une table ronde, le 14 février dernier,
à Châteaulin (29). "En France, aussi, on accueille des
travailleurs détachés", rappelle Jean-Luc Feillant, le secrétaire
général de la branche agroalimentaire bretonne. Certaines estimations font
état de 300 000 travailleurs dans le bâtiment, l'agriculture,
l'agro-alimentaire, le transport...
"Et même des pilotes d'avion", rajoute Chantal
Guittet, députée du Finistère et co-auteur d'un rapport sur le détachement
des travailleurs pour la commission des affaires européennes. Et en 2011,
le Finistère était le département français qui embauchait le plus de
travailleurs détachés, avant d'être relégué en 5e position par la
région Paca.
Nationalisme et populisme
Le travail détaché a été imaginé au sein de l'Union européenne en
1996, "à une époque où elle ne comptait que 15 pays, relativement
proches en termes de droit du travail, souligne Bruno Vannoni,
le président de l'Effat, la fédération européenne des syndicats de
l'alimentation, de l'agriculture et du tourisme. Avec 28 pays aujourd'hui,
ce n'est plus du tout le cas. Et certains gouvernements ont
profité de la faiblesse des textes". Pour le syndicaliste, hors
de question de laisser faire ! "Dans certains pays, la mafia est
derrière ces sociétés qui organisent le travail détaché. Et, un peu
partout en Europe, il provoque une montée du nationalisme et du
populisme".
De l'esclavage ?
"Le travail détaché en lui-même ne pose pas problème, assure
Hervé de Gaillande, directeur général adjoint de la Direccte Bretagne, qui
chapeaute l'inspection du travail. Ce sont les dérives qu'il
faut combattre". Des dérives qui conduisent à une situation
de quasi-esclavage, comme l'ont montré des reportages Outre Rhin, avec
des conditions de logement indignes, une nourriture insuffisante et
pas équilibrée, des clauses abusives dans les contrats qui lient les
travailleurs aux sociétés de sous-traitants... Mais les contrôles sont
difficiles. "Nous travaillions 50h/semaine, payés 35", raconte
Yannick Le Doussal, qui a été détaché en Allemagne, en Belgique... Et
en France ? "C'est le droit du travail français qui doit s'appliquer,
y compris sur les rémunérations, la durée du travail..., tandis que les déclarations
fiscales et sociales sont à effectuer dans le pays d'origine, rappelle
Hervé de Gaillande. Toutes choses bien difficiles à contrôler ! Au lieu de
déclarations papier, parfois illisibles volontairement, il faudrait généraliser
les déclarations informatiques, créer un fichier au niveau
national...". Mais impossible de s'assurer de ce que touchent in fine
les travailleurs ! "La prise de conscience doit aussi avoir lieu
dans les pays de départ", estime Bruno Vannoni. En attendant, un Smic
va se mettre en place dans les abattoirs allemands et l'Europe planche sur
une modification des règles du détachement...
1,92 euro de l'heure !
"Nous avons voulu informer les travailleurs détachés avant qu'ils ne
quittent leur pays". La CFDT coopère depuis quelques temps avec un
syndicat bulgare. Et s'est rendue sur place l'an dernier.
"Là-bas aussi, le sujet intéresse ! En plus d'une soixantaine
de travailleurs, les médias étaient venus en nombre : trois télés, des
radios, la presse écrite...", détaille Fabien Guimbretière,
secrétaire général de la FGA-CFDT.
Le constat est sans appel. "Il y a une telle différence de niveau de
vie, le salaire moyen est de 150 à 200 €/mois, qu'ils sont prêts à venir
en France juste pour gagner un peu plus. Et 5€/heure, c'est l'eldorado
pour eux !" Mais, entre promesses et réalité, le fossé est large. Et
les intermédiaires, qui se chargent du logement, de la nourriture et du
transport, se paient grassement au passage. "Une femme a
témoigné qu'une fois retirées toutes ces rétro-commissions, elle a perçu
1,92 euro de l'heure". Un cas qui reste rare, les autres personnes
déjà venues en France évoquant un salaire oscillant entre 4 et 5
€/heure."Nous avons aussi demandé à rencontrer les salariés une fois
arrivés en France". La CFDT s'est rendue sur un chantier de récolte
de melons dans les Deux-Sèvres. "Mais là, la parole se libère
beaucoup moins ! Ils ont peur de ne pas pouvoir revenir".
Et demain ?
Si Chantal Guittet a rédigé une feuille de route pour le gouvernement
français pour discuter à Bru-xelles de l'aménagement de la directive sur
les travailleurs détachés, Richard Ferrand a planché, au sein de la
commission des affaires sociales, sur les mesures que pourrait prendre la
France :
une responsabilité solidaire
et conjointe entre sous-traitant et donneur d'ordre, afin de ne plus
entendre "je ne savais pas", comme l'a affirmé EDF sur le
chantier de construction de la centrale de Flamanville,
la création d'une "liste noire" des entreprises
qui ont triché, avec mise en ligne sur Internet,
l'interdiction de percevoir des aides pour les
entreprises qui ont fraudé,
l'obligation de double
déclaration, sous-traitant et maître d'ouvrage, afin d'éviter les
"oublis",
la possibilité, pour les
organisations syndicales, de saisir la justice.
"Mais l'Administration centrale est équipée de rabots", constate
Richard Ferrand, inquiet de voir que certaines des propositions ont du mal
à passer le cap des Ministères. Présentée aux députés en début de
semaine, la proposition de loi sera soumise au Sénat courant avril.
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